Un tribunal de l’Alberta a récemment ordonné que les renseignements recueillis et le dossier compilé par le conseiller en ressources humaines qu’un employeur avait chargé d’enquêter sur les actes de harcèlement qu’un employé aurait commis soient divulgués. La décision a été rendue dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié présentée par l’employé, qui avait fait l’objet d’un congédiement motivé à l’issue de l’enquête.
La décision qui a été rendue dans l’affaire Prosser c. Industrial Alliance Insurance, 2024 ABKB 87 nous rappelle que le privilège n’est pas automatique, mais qu’il faut l’invoquer et le protéger sciemment. Dans de nombreux cas, l’employeur pourrait vouloir ou devoir s’en remettre aux documents d’enquête pour justifier sa décision (par exemple, dans le cas d’un congédiement motivé) ou pour confirmer qu’il se conforme aux exigences de la réglementation. Il faut donc garder à l’esprit quelles sont les obligations de divulgation et qui est le public visé dès le début du processus.
Les faits
L’employé voulait obtenir une ordonnance obligeant l’enquêteur à divulguer les renseignements qu’il avait recueillis et le dossier qu’il avait compilé dans le cadre de son enquête, y compris la transcription et les enregistrements des entrevues avec les témoins et les parties, de même que les renseignements au sujet d’un deuxième plaignant.
L’employé n’a pas demandé à ce que le rapport d’enquête contenant les conclusions de l’enquête qui a été remis à l’employeur et à ses avocats soit divulgué; le tribunal n’a donc pas eu à trancher la question de savoir si le rapport lui-même était privilégié ou non.
La position de l’employeur était que les renseignements et le dossier faisaient l’objet du privilège relatif au litige et qu’ils étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat.
La décision
Après avoir examiné la jurisprudence canadienne sur la question du privilège dans le cadre d’enquêtes menées en milieu de travail, le juge a conclu que l’enquête qui avait été effectuée par un tiers n’était pas privilégiée, mais qu’elle avait pour but de vérifier les renseignements dont l’employeur avait besoin pour prendre une décision ne faisant pas l’objet d’un privilège. Le juge a insisté sur le fait que l’enquête avait été effectuée dans le cadre des exigences de l’entreprise et de la politique sur le respect en milieu de travail de l’employeur, établissant ainsi une distinction entre une enquête privilégiée et une enquête relevant d’une politique de l’entreprise.
Au sujet de la politique, le juge a déclaré qu’il ne fallait pas présumer à la légère qu’elle constituait un processus administratif sans importance. La politique sur le respect en milieu de travail en question ne prévoit aucunement que les enquêtes doivent faire l’objet d’un privilège, mais confirme plutôt expressément qu’elles peuvent être divulguées si la loi l’exige. Si une enquête effectuée dans le cadre de la politique devait entraîner un congédiement ou l’imposition de mesures disciplinaires, la partie visée s’attendrait raisonnablement à connaître les faits qui lui sont reprochés au cas où elle souhaiterait contester la décision.
L’employeur n’avait pas fait faire l’enquête dans le but d’obtenir un avis juridique ou de se préparer en vue d’un litige, mais plutôt de remplir les obligations en matière de ressources humaines qui lui incombent aux termes de la politique. Par ailleurs, le juge a fait remarquer que le rapport d’enquête (qui n’était pas en cause) était fort probablement privilégié, car il avait été établi dans le but d’obtenir un avis juridique.
Le juge a insisté sur le fait que le « spectre de la divulgation forcée » ne devait pas empêcher une société d’obtenir un avis juridique, ajoutant que l’employeur, qu’il ait cherché à obtenir un avis juridique ou non, aurait de toute manière effectué une enquête en conformité avec les exigences de l’entreprise. Par conséquent, l’employeur ne peut pas raisonnablement s’attendre à bénéficier de la garantie de confidentialité presque absolue qui est inhérente au secret professionnel de l’avocat.
Le juge a conclu que, même si les dossiers étaient privilégiés, l’employeur avait renoncé au privilège en question en s’en remettant expressément aux renseignements en cause dans l’acte de procédure déposé en réponse à l’action de l’employé. Dans cet acte de procédure, l’employeur ne se contentait pas de nier les allégations, mais il s’appuyait explicitement sur la suffisance des éléments de preuve obtenus au fil de l’enquête et sur les conclusions de celle-ci, que le demandeur aurait pu contester uniquement s’il avait eu accès aux dossiers d’enquête.
Principaux points à retenir
- Il n’existe aucune garantie absolue de privilège ou de confidentialité; la personne qui effectue une enquête doit garder à l’esprit qu’elle pourrait être soumise à une obligation de divulgation.
- L’objet de l’enquête doit être établi dès le départ, tout comme les questions de savoir si un privilège s’appliquera et comment il devra être invoqué et protégé tout au long de l’enquête.
- Le fait de confier l’enquête à un avocat n’assortit pas automatiquement l’enquête d’un privilège et la question de savoir si le privilège juridique s’applique doit être tranchée sur les faits suivants :
- Si l’avocat est chargé d’enquêter sur des faits uniquement, de manière générale, l’enquête ne sera pas privilégiée.
- Si l’avocat est chargé de faire des constatations de fait et de donner un avis juridique fondé sur ces constatations, de manière générale, l’enquête sera privilégiée.
- Une enquête peut être privilégiée si l’employeur l’effectue principalement pour établir les faits dans le but explicite d’obtenir un avis juridique ou de se préparer à un litige, sans égard au fait que l’enquêteur soit un avocat ou non.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur ce sujet, veuillez communiquer avec Victoria Merritt ou un membre du groupe Enquêtes internes effectuées par les sociétés au Canada.